Révolutionner le genre
Quand Occupation double recrute une femme trans et que Samuele, auteurE-compositeurE-interprète, est reçu à Y’a du monde à messe pour parler non pas musique, mais de son identité queer et non binaire, c’est qu’il y a une certaine révolution qui s’opère. En effet, pas une journée ne passe sans que l’on parle d’identité, de genre et de sexe. De nouvelles configurations identitaires s’imposent et remettent en question la fameuse binarité sur laquelle notre société est fondée. Il faut se rendre à l’évidence: les notions femme/homme, féminin/masculin et, même, pénis/vagin, pour déterminer le genre d’une personne, sont chamboulées et cela déstabilise et remet en doute des savoirs et des concepts que l’on croyait bien solidement ancrés et souvent… immuables.
Comme l’explique Marianne Desautels-Marissal dans l’épisode C’est quoi un gars, une fille? de Couple de nerds, il est tentant de se tourner vers la science pour expliquer pourquoi nous nous en tenons à cette division très tranchée des genres. Mais cela peut constituer un piège, parce qu’on a tendance à croire que la science valide les stéréotypes sexuels. Alors que la réalité qu’elle révèle est beaucoup plus nuancée. Il est facile de dire que, biologiquement parlant, il n’y a que deux sexes, soit féminin et masculin. Mais, voir les choses ainsi, c’est mettre de côté les personnes intersexuées, mais aussi ignorer que ce n’est qu’à la sixième semaine de gestation que les fœtus humains mâle et femelle commencent à se différencier. Avant cela, ils sont pratiquement similaires. Donc, bien avant sa naissance, l’être humain est rempli de potentialités, même au niveau du genre.
Genre, sexe et identité, un lexique étoffé
Mais entre genre, sexe et identité, de quoi parle-t-on au juste? En fait, le genre fait référence aux rôles sociaux qui sont attendus selon le sexe. Un exemple cliché: on attend d’une femme qu’elle soit maternelle et d’un homme qu’il soit responsable. Côté sexe, on parle du sexe assigné à la naissance et, quant à l’identité, c’est ce qui construit la personnalité de quelqu’un. On parlera également d’expression de genre, c’est-à-dire la façon dont on exprime son genre. Par exemple, on peut être homme et adopter une expression de genre féminin et inversement. Et si on parle d’identité de genre, il s’agit de la façon qu’on a d’adopter une identité féminine, masculine, un peu des deux, voire aucune des deux. Comme Matthieu et Marianne le constatent dans leurs recherches auprès de scientifiques chevronné.es, tout ça n’est pas simple. Le «Un gars, c’est un gars, une fille c’est une fille!»? Pas tant, non. D’ailleurs, près de nous, certaines personnes issues de communautés autochtones s’affichent bispirituelles, c’est-à-dire qu’elles ont à la fois un esprit féminin et masculin. On aborde également ce fameux «two-spirits» comme un troisième genre qui n’est ni homme ni femme. Les Premières Nations ne sont pas les seules à explorer le genre et l’identité. Dans plusieurs endroits du monde, ces notions sont fluides et beaucoup plus complexes.
Entre troisième genre et non-binarité
Par exemple, en Inde, on retrouve les hijras qu’on considère ni homme ni femme, mais plutôt comme un troisième genre. C’est une communauté qui compte environ un demi-million d’individus qui sont, la plupart du temps, nés hommes, mais qui adoptent le genre et l’identité féminine. On estime que, parmi cette population, il y aurait également des personnes intersexes et transgenres. Adulée par les uns et honnie par les autres, cette caste indienne, jadis considérée comme divine, est dorénavant parmi les groupes sociaux les plus marginalisés au pays, plusieurs usant de la prostitution pour survivre. Les hijras font actuellement de nombreuses actions sur les médias sociaux pour faire reconnaître leur statut, emboîtant le pas à de nombreuses communautés marginalisées (LGBTQ+, personnes en situation de handicap, etc.) qui partagent aussi les fruits de leur lutte sur le web. Du côté du Mexique, plus précisément dans la communauté zapothèque Oaxaca, on retrouve les muxhes ou muxes. Ces personnes assignées hommes à la naissance ont décidé d’adopter l’expression et l’identité de genre féminine, un peu comme les hijras. Mais, bien que toute société vit de la discrimination envers ses groupes minorisés, les muxhes sont majoritairement acceptées par cette communauté matriarcale, voire célébrées. Avoir une muxhe dans la famille est souvent perçu comme une bénédiction, et c’est à elle que revient la responsabilité de s’occuper de la famille.
Bref, le genre n’est pas chose simple. Sujet complexe s’il en est un, nous n’en sommes probablement qu’aux balbutiements - même si les études sur le genre existent depuis plusieurs années déjà - d’un domaine aussi vaste que fascinant. L’avenir nous dira ce qu’il adviendra du genre, qu’il soit féminin, masculin, non binaire ou, qui sait, complètement éradiqué ou entièrement renouvelé. Chose certaine, nous aurons certainement à redéfinir ce que l’on tenait pour acquis. C’est le propre de toute (r)évolution.